Il y a des périodes où le sommeil devient un sujet à part entière. Où l’on se sent fatigué, mais incapable de s’endormir. Dans ces moments-là, on comprend que dormir ne se commande pas comme un interrupteur. La nuit reflète souvent ce qu’on n’a pas eu le temps ou l’espace de digérer dans la journée.
Et si nos difficultés à dormir étaient un signal du corps ?
Je vous propose de réexplorer le sommeil. Non pas avec des injonctions ou des recettes miracles, mais avec douceur, lucidité, et respect de nos rythmes naturels.
Comment se déroule notre sommeil ?
On entend souvent dire qu’un cycle de sommeil dure 1h30, mais ce n’est qu’une moyenne. En réalité, la durée des cycles varie : ceux du début de nuit sont plus longs et différents de ceux de la fin de nuit qui sont plus riches en rêves.
Et en début de nuit, on a beaucoup de sommeil profond. Le sommeil profond permet un lavage neuronal. Les cellules cérébrales rétrécissent pour laisser plus d’espace entre elles. Le liquide céphalo-rachidien circule alors plus librement à travers le cerveau pour évacuer les déchets.
La seconde partie de la nuit contient plus de sommeil paradoxal, qui a un rôle à la fois dans certaines formes de mémoire, mais aussi dans l'équilibre psychique et dans l'intégration de de l'expérience acquise.
Quand la nuit devient un indicateur
Le Dr Benjamin Putois, psychologue clinicien et chercheur en sciences cognitives, accompagne depuis des années des personnes qui veulent retrouver un sommeil plus paisible.
Son constat : la plupart des troubles du sommeil ne sont pas isolés. Ils reflètent ce que nous portons en nous.
Pressions quotidiennes, rythmes intenses, événements non digérés… tout cela laisse des traces. Et ces traces se manifestent souvent la nuit. Dormir demande de pouvoir déposer le poids du jour. Et parfois, c’est cela qui fait défaut.
Trois ingrédients pour bien dormir
Selon Benjamin Putois, il existe trois éléments essentiels à un sommeil de qualité :
- Une horloge biologique respectée : chacun a un rythme qui lui est propre. Il y a les couche-tôt, les couche-tard… et ce n’est pas un caprice. C’est en partie génétique.
- Une fatigue naturelle : vivre, bouger, créer, interagir… tout cela crée un élan naturel vers le repos.
- Un niveau d’éveil suffisamment bas : et c’est là le cœur du sujet. Si le cerveau reste en vigilance, même léger, il bloque l’accès au sommeil. Retrouver un sentiment de sécurité est alors la clé.
Quand on veut trop bien dormir
L’un des plus grands obstacles au sommeil ? La volonté de bien faire. Vouloir absolument dormir peut devenir un stress en soi. Plus on surveille son sommeil, plus il devient capricieux.
L’idée est de relâcher la pression.
Et si le sommeil n’était pas le vrai problème ?
Certains troubles du sommeils sont des messagers. Ils révèlent un déséquilibre, une préoccupation, une mémoire qui cherche à se dire. Ils ne sont pas là pour nous punir, mais pour nous signaler qu’un ajustement est nécessaire.
Cela peut passer par une écoute plus attentive de ses besoins, un espace d’expression, un soutien extérieur, ou même des changements concrets dans le quotidien. Dormir mieux, c’est parfois d’abord vivre autrement.
Exemples
- Dans Jai mal à mes ancêtres de Patrice Van Eersel, Anne Ancelin Schützenberger raconte l’histoire d’une fillette de quatre ans qui se voit terrifiée par un « monstre » qu’elle dessinait avec un masque et une longue trompe. Elle se réveille la nuit en toussant et en hurlant. Chaque année, ses crises d’asthme revenaient à la même date : dans la nuit du 25 au 26 avril. Sa mère découvre que le grand-oncle de l’enfant est mort gazé à Ypres… dans la nuit du 25 au 26 avril 1915. L’enfant n’avait jamais entendu parler de cette histoire. Mais dans son corps, la mémoire circulait encore. Quand elle a pu dessiner ce monstre et nommer ce qu’elle ressentait, les crises ont cessé.
- Sur un groupe Whatsapp, une amie a raconté qu’elle rêvait régulièrement qu’on la poursuivait avec un couteau. Elle se réveillait complètement paniquée et allumait toutes les lumières pour aller aux toilettes la nuit. Avec sa psy, ils ont fini par se rendre compte qu’elle avait déjà vu cette scène enfant. Son voisin courait après sa voisine pour la poignarder. Dès qu’elle a fait le rapprochement, les cauchemars ont cessés.
Ce qui peut aider concrètement
Ce qui est recommandé par les spécialistes du domaine :
- Ne pas se forcer à dormir : retrouver un rapport souple et bienveillant à la nuit.
- Se reconnecter à ses sensations de fatigue : et y répondre dès que possible.
- Limiter les siestes longues (sauf besoin spécifique). Une courte pause de 10 à 20 minutes suffit souvent.
- Respecter son propre rythme, même s’il diffère des normes.
- Observer la qualité de l’éveil : c’est souvent un indicateur plus fiable que la durée du sommeil.
- Favoriser une atmosphère sécurisante le soir : lumière douce, gestes familiers, absence de stimulation excessive.
- Accueillir les réveils nocturnes comme faisant partie du cycle normal du sommeil.
- Se lever à la même heure même le week-end : C’est elle qui synchronise l’horloge interne.
- Eviter de trop récupérer le week-end : car cela pourra dérégler la semaine.
Et surtout, ne plus considérer les mauvaises nuits comme des échecs. Juste comme des variations.
Les écrans empêchent-ils vraiment de s’endormir ?
La question est plus complexe qu’il n’y paraît. Les écrans semblent avoir un effet perturbateur chez les enfants que chez les personnes agées et encore plus chez les gens travaillant en intérieur et peu exposés à la lumière du jour. Les personnes ayant un travail en extérieur y sont en réalité très peu sensibles.
Le Dr Sylvie Royant-Parola confie aussi que cela dépend aussi de la nature de l’activité sur l’écran. Il y a une différence entre une activité passive comme regarder une série ou une activité plus acctive comme chatter sur les réseaux sociaux.
Le sport le soir, bonne ou mauvaise idée ?
Faire du sport le soir n’est pas forcément problématique, mais tout dépend de l’activité. Le cardio perturbera moins le sommeil que la musculation, voir n’aura pas d’impact chez les sportifs réguliers. À l’INSEP, des triathlètes ont couru une heure à 16 km/h à 21h. Leur sommeil n’a montré aucune perturbation à la polysomnographie.
La musculation reste moins conseillée tard le soir car elle favorise la sécrétion de noradrénaline et d’hormones de la vigilance.
La natation, restera déconseillée le soir.
Le sommeil chez l’enfant
Il se construit petit à petit, à travers des repères clairs et une sensation de sécurité. Mais ce qui est important — et parfois contre-intuitif — c’est d’éviter de créer une dépendance trop forte aux parents pour s’endormir.
Si un enfant s’endort uniquement dans les bras, en étant bercé ou collé à un adulte, il n’apprend pas à trouver en lui les ressources pour se rendormir seul lorsqu’il se réveille la nuit. Cela peut donner lieu à des réveils répétés où il réclame une présence, non pas parce qu’il va mal, mais parce qu’il ne sait pas faire autrement.
L’objectif n’est pas de forcer une séparation brutale, mais d’accompagner avec régularité l’apprentissage de l’auto-apaisement. C’est un cadeau qu’on leur fait pour plus tard : savoir s’apaiser seul, c’est une base essentielle pour grandir sereinement.
Pour aller plus loin
En ralentissant un peu, en écoutant mieux notre corps, en arrêtant de viser la perfection, on se donne une chance de renouer avec des nuits plus simples, plus douces.
Et si, finalement, mieux dormir commençait par mieux s’accueillir ?